Négocier son estive

En janvier s’ouvre la grande période de recherche des estives et alpages de l’été. En 2024, C’est quoi des conditions correctes? C’est combien un salaire décent ? ­Qu’est ce qu’on peut attendre d’éleveurs «reglos» ? 

Pour tirer vers le haut les conditions de travail et de vie de toutes et tous, l’ABBASP et le SGT PACA vous donnent leur recommandations pour l’été 2024 !


SALAIRES, INFLATION, NEGOCIATIONS 

Depuis 3-4 ans, nous vivons une période de forte inflation. Le SMIC a augmenté de 14.8% entre le 1er janvier 2020 (10.15€ brut/h) et le 1er janvier 2024 (11.65€ brut/h). L’inflation ne concerne pas que les salaires mais tous les coûts de la vie, surtout les produits de première nécessité (énergie et nourriture).

L’augmentation du SMIC ne nous rend donc pas plus riche. 


Le SMIC, c’est combien?

En janvier 2022, le SMIC horaire brut est à 11.65€ de l’heure, (9.23€ net). 

Quand on est déclaré à 44h hebdomadaires c’est 35h payées à taux normal, puis 8h majorées à 25%, puis 1h majorée à 50%. Sur un mois, ça donne 151,67h de base +  34,66h majorées à 25% et 4,33h majorées à 50%. On a donc en brut pour 44h/semaine : 

151.67 x 11.65 + 34.66 x (11.65 +11.65 x 25%) + 4.33 x (11.65 + 11.65 x 50%) = 2347.36€ brut / mois.

Avec un taux de cotisations sociales à 20.84% cela nous donne une estimation de net à 1858.72€.

A cela s’ajoute l’indemnité de congés payés (que l’on se fait généralement payer, à défaut de la prendre en repos), soit 10% du salaire brut = 234.74 euros.  

Soit un salaire total à 44h/semaine en incluant les congés, autour de 2092.9 euros net par mois.

Un salaire au SMIC, en 44h/semaine, congés inclus, c’est donc presque 2100€ net / mois.
Et c’est le STRICT MINIMUM qu’un débutant peut et doit gagner. 

Sur une estive en simple poste les heures effectuées dépassent LARGEMENT les 44h. Le métier de berger, même lorsqu’on est débutant, est un métier difficile qui requiert des savoir-faire techniques :  il est absolument légitime d’exiger plus. 


NEGOCIER SON SALAIRE

Aujourd’hui, nous dépendons de la Convention Collective des exploitations agricoles et des CUMA . En 2020, sa mise en place a créé une nouvelle grille salariale, fonctionnant par paliers.  Alors que les prédédentes conventions collectives reliaient la rémunération principalement à la personne employée (son expérience, ses compétences, ses savoirs-faires, diplômes, etc.), le nouveau système de convention collective s’intéresse uniquement au poste, peu importe qui y travaillera. Le salaire associé ne dépend désormais que de la fiche de poste : sa difficulté, les compétences exigées, etc. Ça renverse complètement la logique en matière de calcul de salaire.

Il s’agit d’estimer les exigences du poste  selon 5 critères : technicité, autonomie, responsabilité, management et relationnel. A chaque critère, correspond un niveau d’exigence avec un nombre de points. Le total de ces points permet ensuite de définir un palier pour le poste. 

En remplissant nous-même cette grille et au regard des compétences qui nous sont demandées en estive, nous arrivons facilement à un palier 7 voire 8. N’y étant aujourd’hui pas obligés, rares sont toutefois les employeurs à embaucher suivant ce palier. Malgré cela, gardons en tête qu’il est totalement anormal d’être embauché à un palier inférieur à  3 ou 4, même pour un.e berger.e débutant.e.  

La grille des salaires est  régulièrement réévaluée, théoriquement après chaque réévaluation du SMIC. 

Il est donc intéressant de négocier un palier plutôt qu’un taux horaire. Lors des 2 années précédentes, une réévaluation est entrée en application en septembre, entraînant de fait une augmentation de salaire pour celles et ceux ayant négocié un palier. 

Pour vous aider à y voir plus clair, nous vous avons développé un petit outil en ligne afin d’estimer le salaire en fonction de chaque palier. Vous y retrouverez aussi ce qu’il aurait été en fonction des précédentes grilles de salaire des années passées ou à venir. 

Enfin, vous y retrouverez les critères, niveaux d’exigences et nombres de points associées pour estimer votre palier au regard de la convention collective nationale et vous aider dans vos négociations. 


JOUR DE REPOS    

Dans le code du travail, chaque salarié est tenu d’avoir un jour de repos par période de 7 jours. 

Celui-ci n’a aucun lien avec les congés payés. Légalement ce jour est obligatoire, et vu l’intensité du travail en poste simple il est absolument nécessaire de pouvoir prendre du repos dans l’été. 

Les éleveurs peuvent prendre des dispositions pour que ce repos soit respecté : embaucher en double poste, embaucher à plusieurs un.e berger.e qui tourne pour faire les jours de repos des gardiens de troupeau du massif, venir garder eux-même une journée… 

Dans la pratique, d’autres arrangements peuvent être trouvés en accord avec le salarié : regrouper les jours de repos pour prendre 4 jours d’affilées à la fin du mois par exemple. 

Dans d’autre cas, les éleveurs partent du principe que les salariés n’ont pas à prendre ce jour de repos. C’est illégal, et cela peut nous mettre en danger moralement et physiquement. Il faut alors trouver un arrangement financier. 

Si l’option est un arrangement financier, il s’agit alors d’être au clair avec son ou ses employeurs dès la négociation des conditions de travail. Est-il payé à côté ? Le taux horaire peut-il être remonté pour trouver un arrangement qui permet d’inclure ce temps de travail ? Un billet de la main à la main d’un montant suffisant –  il doit etre  au moins equivalent au salaire brut qu’on aurait gagné ce jour là – peut aussi faire l’affaire pour certain.es. 

Dans tous les cas, ce jour ne devrait jamais être offert à nos employeur, et il faut garder en tête que travailler sans repos, ça use et ce n’est pas normal. 

Si on est obligé de vendre nos jours de repos au détriment de notre santé pour que le salaire soit acceptable, c’est surtout que notre travail n’est pas justement rémunéré. 

Quoi qu’il en soit, aucune de ces contreparties ne sera jamais légale au regard du code du travail ; il s’agit d’un arrangement.


AUTRES DROITS 

Ensuite, voilà ce qui devrait être le minimum et qu’on est légitimement en droit d’attendre de la part de nos employeurs : 


A propos des chiens :

Ce n’est pas spécifié dans tous les accords départementaux, mais fournir les croquettes pour les chiens de conduite, ou les rembourser si vous venez avec les vôtres, c’est un minimum.

La prise en charge des frais vétérinaires en cas d’accident pendant le travail n’est pas encore généralisée mais des employeurs corrects sont censés proposer où accepter cette condition.


A propos des logements :

Un logement avec un moyen de se chauffer, en bon état de fonctionnement et avec du combustible à disposition, c’est le minimum.

Un logement avec de l’eau potable, c’est indispensable. Et s’il n’y en a pas, des réserves suffisantes doivent être fournies ; en bouteille, pas dans des vieux bidons de produits ménagers. Dans le cas ou l’eau serait captée, le captage doit être propre et sécurisé s’il se trouve sur une source. L’eau devrait être filtrée dans tous les autres cas. 

De l’eau chaude pour se laver, de l’eau pour laver ses habits, laver sa cabane, devrait aussi etre le minimum décent ! Un espace à l’intérieur pour se laver ce n’est pas non plus du luxe. D’autant plus que les journées sont longues et qu’en simple poste c’est en général au petit matin ou tard le soir que l’on fait la toilette.

La literie devrait aussi vous être fournie. Celle-ci doit pouvoir accueillir autant de personnes qu’il y a de postes sur la montagne. Une couette et du linge de lit propre ce n’est pas cher demandé pour permettre de mieux traverser la saison.

Niveau sécurité, un détecteur de monoxyde de carbone (CO), un détecteur de fumée et un extincteur devrait être présents dans chaque logement et en bon état de fonctionnement. 

Tout le matériel de cuisine ainsi que le gaz doivent aussi être fournis. Casserole, poêle, assiette et couvert, ce n’est pas à vous de tout monter. 

Enfin, la cabane, c’est chez nous le temps d’une saison. Le minimum, c’est qu’on nous demande l’autorisation avant d’y entrer.


A propos du temps de contrat :

Il est absolument anormal de nous demander du temps de présence sur l’estive qui ne serait pas rémunéré. 

Si les abreuvoirs doivent être remis en état, le parc de soin installé, les cabanes nettoyées… : c’est du temps de travail. Le contrat ne commence pas quand les brebis arrivent, il commence quand on commence à travailler. Pareil à la descente : le contrat ne se termine pas nécessairement quand les brebis s’en vont. Démonter les clôtures, remiser les filets… 

Temps de présence = temps de contrat, c’est le minimum! 


A propos de l’équipement :

Une prime d’équipement en début de saison, c’est légitime et ça se demande. On demande à aucun employé de bureau de venir avec son ordi et ses stylos.

Dans les départements du 04 et 05 dans les Alpes et dans le 09 et 65 dans les Pyrénées ; c’est obligatoire. Ailleurs, on peut la demander et si l’employeur refuse, c’est pas bon signe…


A propos du troupeau :

Un troupeau sain, c’est la base. Que des bêtes se blessent et se fatiguent au fil de la saison c’est la vie, mais monter des animaux en mauvais état, c’est la galère assurée.

Des chiens de protections qui ne sont pas dangereux pour les visiteurs et se laisse manipuler par leurs berger.e.s, c’est aussi un minimum!

Il est normal de pouvoir refuser la charge des animaux malades ou dangereux si les employeurs refusent ce n’est pas bon signe. Sur une «bonne estive», les éleveurs montent leurs brebis avec des onglons taillés. 


A propos du binome :

Dans le cas ou vous montiez à deux, et surtout si vous êtes berger.e.s débutant.e.s et souhaitez monter pour découvrir le métier en assistant un.e berger.e en place, prenez le temps de rencontrer votre binôme en amont et de ne pas forcément sauter sur la première opportunité qui se présente. 4 mois c’est long, et sachez que en plus de bosser tout les jours avec cette personne vous allez aussi partager votre logement. Mieux vaut donc que l’entente soit bonne. 


A propos de la relation avec les éleveurs :

Des éleveurs.euses sexistes, racistes, lourds avec les meufs, qui nous parlent mal, qui nous déprécient, qui disent pas merci, et dont on redoute la venue, ce n’est pas normal. 


Si ces conditions minimales ne sont pas réunies, passez votre chemin, des estives où notre travail est au minimum respecté, ça existe !


En cas de problèmes pendant les négociations, de problèmes pendant l’estive, en cas de non respect des conditions sur lesquelles vous vous êtes mis d’accord, en cas de harcèlement, discrimination, en cas de doutes : ne restez pas seul.e.s ! 

Gardiennes et gardiens de troupeaux, on s’organise ! 


SGT PACA – région PACA et Alpes du SUD
sgtcgt.noblogs.org / sgtpaca@riseup.net 

SGT 38 – Isère et Alpes du Nord
sgt38@riseup.net

Cléopâtre, ligne de soutien pour gardiennes et gardiens de troupeaux 
06 99 50 77 05

ABBASP – Association des Bergères et Bergers en Alpages et Systemes Pastoraux
https://www.abbasp.fr / abbasp.asso@gmail.com / 06 42 24 16 91

reseau signal de solidarités entre bergeres et bergers salariés 
https://t.ly/WiEdY