Securité en montagne

pour un lecture plus agréable : telecharger l’article de la lettre aux bergers 2023

En étant berger.e.s, on voit souvent la montagne comme notre maison. On as ainsi toujours tendance à se l’approprier, on parle de « ma » montagne quand on parle de son alpage ou de son estive. Mais la montagne est une maison dangereuse. Entre les chutes de pierres, la foudre, les dérochements, la fatigue, les glissades, nombreux.ses sont les berger.e.s à se blesser chaque années dans leurs maisons.

Et pourtant, la grande majorité de ces accidents sont souvent conséquents à un enchaîinement de mauvaises décisions, et auraient pu être évités. Cela le plus souvent en remontant son niveau de vigilance, en cherchant des stratégies d’évitements, ou en apprenant à renoncer. 

Prenons un peu de recul et regardons comment arrive la majorité des accidents en montagne. Certes, il peut arriver que ce soit la faute à pas de chance, qu’aucun signal avant coureur n’aurait pu indiquer que ce bout de montagne allait subitement se décrocher, ou que la foudre allait frapper juste là, alors même que le ciel est bleu. Mais ce type d’accident, bien que les plus traumatisants par leurs côotés imprévisibles reste globalement très marginal au regard de l’ensemble des accidents de montagne. Bien majoritairement, en observant l’environnement et en apprenant à s’écouter, les facteurs de risques sont identifiables et le niveau de vigilance peut êetre adapté. Dans la grande majorité des cas, la catastrophe arrive après déjà un grand nombre d’alertes et alors que le niveau de vigilance devrait déjà être proche de son maximum. 

Dans notre métier on apprendras aussi à se méfier de deux facteurs aggravant qui peuvent occasionner une vigilance plus faible qu’elle ne devrait etre : le « bah, on as toujours fait comme ça ! » et le « mythe du bon berger », guerrier prêt à tout affronter pour rester auprès de son troupeau.

Dans les années 90, un alpiniste suisse, Werner Munter, à proposé une méthode pour analyser les risques et adapter sa vigilance, chercher des solutions d’évitements ou de repli, voir renoncer si les risques sont trop grands. Initialement pensé pour la pratique de la montagne hivernale et étudier les risques avalancheux, cette méthode sc’est vite étendue à l’ensemble des pratiques de montagne. Suite à la première édition de la formation de sécurité en montagne organisée l’an passé, nous vous proposons aujourd’hui une version adaptée à vos pratiques de gardes en milieu montagnard. Cette proposition est bien évidemment une lecture personnelle de la méthode est peut être affiné/retravaillé par chacun.

La méthode 3×3.

Cette méthode est avant tout un pense-bête, un outil pour aider à analyser les situations rencontrées. C’est une grille de lecture de 3 critères que l’on passe sous 3 filtres géographiques et temporelles. 

Les 3 critères proposés sont : 

  • le terrain : le quartier sur lequel on évolue, ses difficultés et risques inhérents. Un facteur externe prévisible et stable dans le temps ; 
  • les facteurs externes : les facteurs plus ou moins prévisibles qui affecte nos journées : conditions météo, équipement, troupeau, touristes… ;
  • le facteur humain : soi-même, apprendre à s’écouter physiquement et moralement. Ce facteur est peut être l’un des plus difficile à analyser et pourtant un facteur aggravant dans une grande majorité des accidents.

Les 3 filtres au travers desquel on étudiera nos critères seront : 

  • la vision lointaine : en amont de l’estive, au pied de la montagne juste avant que le troupeau n’arrive, à chaque changement de quartier ; 
  • la vision proche : tout les matins en partant ainsi que sur les temps longs au fil de la journée, lors de la chôme et dans des temps d’observation ; 
  • les pieds dedans : à tout moment clé de la journée, particulièrement si une situation inattendu se présente, si les conditions change rapidement, ou qu’on as une décision quelconque à prendre.

Prenons maintenant l’ensemble de ces critères pour chaques filtres. 

La vision lointaine : Que doit on se poser comme question avant d’attaquer la montagne pour se préparer au mieux et pouvoir ensuite savoir comment remonter ses niveaux de vigilances ?

Le terrain

je prends le maximum d’info sur la montagne :
à la maison
J’étudie la carte (geoportail, fatmap, vue 3D, topo, ign ou photo satellite)
J’appelle le / les anciens berger.e.s
Si je peux je récupère les carnets d’estives des anciens berger.e.s
J’essaie de repérer les risques objectifs (pentes raides, pierriers, barre rocheuse, torrents)
Je repère les options d’évitements
Si j’ai un smartphone, je télécharge la carte du secteur sur l’appli de cartographie que j’utilise (iphigénie, FatMap, …)

Une fois sur le terrain, en repérage avant l’arrivée des brebis
je confirme ou infirme les ressentis sur topo et repère les différents points critiques de la montagne
j’essaie de repérer les drailles de brebis pour imaginer les différents biais et situations que je pourrais rencontrer

Dans tous les cas, je me méfie des « on as toujours fait comme ça »
les facteurs externes

Je me renseigne sur mon troupeau :
race de brebis
comment se tient-il
présence d’agneaux, de béliers
taille du troupeau
nombre de propriétaire

Je me renseigne sur les chiens de protections :
caractère
sociabilisation

Je me renseigne sur la présence de tourisme, à quelle saison et dans quel secteur…

Je prépare soigneusement mon équipement en fonction de ce que j’ai pu évaluer des conditions de montagne et de météo que je pourrais être amené à rencontrer sur la saison.

Je me renseigne auprès de locaux, de mes eleveurs ou des anciens berger.e.s sur les risques de la montagne :
observation du ciel (le gros temps, il arrive d’où le plus souvent ?)
Y a-t-il des zones particulièrement exposés ?
des zones plus prédatés ?
Le facteur humain

Je me prépare pour ma saison :

Sur le plan physique pour être prêt à affronter les dénivelés et conditions de terrain une fois le troupeau présent, je veille à attaquer ma saison le plus en forme possible.

Sur le plan mental pour  être le plus alerte et ancré une fois la montagne engagée, j’essaie de laisser derrière moi tout les tracas d’en bas.

Je récupère les numéros des bergers voisins et tout autres personnes ressources du territoire (garde, gardien du refuge…).

Je récupère auprès de l’office de tourisme ou de la mairie le numéro du PGHM local.
  • Je suis prêt pour accueillir le troupeau. Je sais où je mets les pieds, j’ai anticipé les biais et j’ai un vague plan de pâturage pour ma saison. 

La vision proche : C’est tout les matins avant de partir, ou lors des temps posés de la journée. Il me permet de faire un point régulier dans ma journée pour anticiper et éviter de me retrouver dans des situations périlleuse. Il me permet aussi de savoir avec quel niveau de vigilance je me mets en route en fonction de mon état d’esprit, du parcours choisi ou des conditions externes

Le terrain

Je met le nez dehors pour voir l’état du terrain aujourd’hui.(c’est humide ? il a neigé ? c’est sec ? )

J’observe le terrain autour du troupeau pour anticiper ses mouvements et les difficultés possibles.
Les facteurs externes

Je prends les prévisions météos, je les complète en observant le ciel régulièrement en journée.

Je choisis mon équipement et mon fond de sac.

Je fais un point sur l’état du troupeau avant d’ouvrir le parc.
Le facteur humain

Ais-je bien dormi ? J’avais des copains la veille, j’ai pas trop abusé ?

Je suis bien dans ma tête, sans préoccupations extérieures à la montagne ?

Des petits bobos dont je dois m’occuper ?

Je prends le temps d’un éveil nécessaire (musculaire comme intellectuel)
  • Je peux alors définir ou corriger mon parcours pour la journée et anticiper les prochaines heures

Les pieds dans le plat : à tout moment de ma journée je fais des points d’analyse de la situation. Cela est particulièrement vrai lorsque je rencontre un imprévu, une difficulté, un changement rapide de conditions météo ou que j’ai une décision à prendre. Mieux vaut prendre 3 minutes pour faire descendre la pression et analyser la situation que partir bille en tête sans prendre le temps de voir l’ensemble des facteurs. 

Le terrain

J’observe le terrain autour de moi, peut il être piégeux ou dangereux ? 

Je vais m’engager dans un terrain exposé : 
ais je une alternative ?
ais je les capacités ?
Cela est-il réellement nécessaire de s’engager là-dedans ?

Je réalise que je suis dans un terrain plus exposé que prévu :
puis je faire ½ tour ?
Je prends le temps d’étudier toutes les options pour sortir de ce faux pas.

Je n’hésite pas à sortir la carte sur mon tel (iphigénie, fatmap), même si je connais le terrain, toute infos est bonne pour prendre un pas de hauteur/recul.
Les facteurs externes

J’observe le ciel pour essayer d’anticiper un changement imprévu de temps :

L’orage arrive, je m’éloigne au plus vite du troupeau et recherche un endroit pour m’abriter (et cela au moins 10 minutes avant que l’orage ne soit sur moi, la foudre peut parfois frapper loin du foyer orageux).

J’ai un soucis de matériel, comment cela va-t-il impacter ma journée ? Puis-je réparer sur place?

Le troupeau s’engage dans un coin particulièrement exposé : puis-je contourner ?
puis-je laisser faire sans risque
Y a-t-il un risque pour les randonneurs qui passerait sur l’alpage ?
Y a-t-il un voisin qui peut donner un coup de main si elle débarque sur la crête frontière ?
Le facteur humain

J’écoute mon corps, même si j’apprends aussi à savoir le dépasser
Je reste toujours à l’écoute de mes états (émotionnels, psychique et physique)

Un bobo : faut il prendre le temps de s’en occuper immédiatement ? cela risque-t-il d’impacter le reste de ma saison ?

Je n’hésite pas à demander de l’aide aux éleveur.se.s si je sens que je compromets le reste de ma saison, voir celles à venir.
Je me préserve pour tenir la saison.

je me détache du “mythe du bon berger”
-> un.e bon.ne berger.e c’est celui/celle qui redescend en forme et en bonne santé avec un troupeau sain.
Lâcher le troupeau pour se mettre à l’abri ou se préserver entraine potentiellement un léger surcout de travail par la suite, mais en aucun cas le fait que l’on ne soit pas un.e bon.ne berger.e
  • j’adapte mon niveau de vigilance, je revois mon parcours si besoin et je n’hésite pas à redéfinir mes choix et mes priorités.

Les pièges de l’inconscient : 

Il existe des biais appelés “pièges de l’inconscient” et théorisé par McCammon, à classer dans le facteur humain, sur lequel notre cerveau se repose inconsciemment pour faciliter les prises de décisions. Ils peuvent toutefois entraîner une vigilance à la baisse, et nous rendre aveugles à certains signaux qui devraient nous alerter. Savoir les identifier et les repérer est déjà une première étape pour les conscientiser et apprendre à s’en méfier. 

  • L’habitude : On peut y retrouver le “on as toujours fait comme ça” déjà évoqué, mais aussi nos routines de tous les jours. C’est un facilitateur de prise de décision évident (je fais comme d’habitude), et un risque de dévaluer certains facteurs de risques de terrains familiers.
  • L’obstination : On peut éventuellement la retrouver dans “le mythe du bon berger”, mais aussi dans toute décision. Une fois une décision prise, notre cerveau va en effet toujours chercher à rester en cohérence, et gommer des signaux qui devraient nous pousser à remonter notre vigilance, et parfois renoncer. Savoir renoncer c’est souvent faire preuve de sagesse.
  • Le désir de séduction : C’est le désir de se mettre en valeur, que ce soit vis à vis d’ami.e.s de passage ou pour faire le fier devant des touristes ou des éleveurs. Montrer qu’on est un “bon berger”, qu’on peut aller sur tout terrain et dans toute situation, quitte à ne pas tenir compte de risques flagrants (voir à en prendre sciemment).
  • L’aura de l’expert : Ce biais nous concerne peut etre moins directement lorsque l’on est seul en garde, mais il est toutefois fortement présent dans le cas de la visite d’ami.e.s. Par notre connaissance du terrain, on prendras de fait une place de “leader”, et nos ami.e.s peuvent alors nous suivre aveuglément. Rester à leurs écoute et poussez-les à rester vigilant à l’environnement et à eux même.
  • Le positionnement social : On est clairement dans le “mythe du bon berger” qui entraîne excès de confiance, sentiment de surpuissance, et volonté de se mettre en avant pour prouver au monde (et à soi-meme) à quel point on est maître de son troupeau et de sa montagne. Souvent de manière complètement inconsciente d’ailleurs. 

La sensation de rareté : C’est peut-être le biais qui nous concerne le moins. C’est par exemple celui qui pousse les skieurs à sortir immédiatement après une grosse chute de neige sans tenir compte des forts risques avalancheux par l’impression que ces conditions ne se reproduiront plus.

les niveaux de vigilances : 

Nous avons ici régulièrement parlé de niveau de vigilance. En pratique de montagne on en définit généralement quatres majeurs.

  1. Détendu : tout va bien, le troupeau est calme, je suis bien dans mes baskets, le terrain tranquille, les chiens en forme. Tout les voyants sont verts, je peux enfiler les tongs et sortir mon meilleur bouquin.
  2. Méfiant : Un ou deux signaux ne sont pas au vert. Je suis fatigué, tracassé, ou j’ai cassé le lacet de ma chaussure. A moins que ce ne soit le ciel qui se chargent à l’Est, ou ce pierrier piégeux à traverser. Je remonte ma vigilance, referme mon bouquin pour me concentrer sur mon environnement, j’affermis mon pied, et cherche de potentiel évitement.
  3. Alerte : Plusieurs voyants sont au rouge. Je cherche une solution de repli, j’assure chacun de mes pas, je veille sur mes chiens, j’anticipe au maximum pour me sortir de cette situation inconfortable et réduire les risques encourus le plus rapidement possible. Arrivé à ce niveau, même si le troupeau reste dans un coin de tête, je ne dois en aucun cas me mettre encore plus en risque pour les brebis. Il sera toujours temps plus tard de rattraper la situation, même si cela entraîne un surcoût de travail.
  4. Mystique : « Mais putain, qu’est ce que je fout la ! » Pas le choix il va falloir traverser ce mauvais pas. J’assure chacun de mes pas ou recherche en urgence un abri. Dans cette situation, le troupeau ne doit plus être ma priorité mais je me concentre sur ma propre survie. Si j’ai du réseau (et que je ne suis pas sous l’orage), je n’hésite pas à appeler le PGHM ou tout autres soutiens qui pourra m’aider à sortir de ce mauvais pas.

J’espère que ces outils pourront aider chacun de vous à mieux anticiper les situations et traverser la saison sereinement. N’hésitez pas à vous les approprier et à les transformer. Il ne sont aucunement une vérité qui vous empêchera à coup sur de vous mettre en situation périlleuse, mais un outil pour mieux conscientiser les risques, apprendre à mieux adapter son niveau de vigilance et ainsi limiter les risques. N’hésitez pas aussi à reprendre cette grille de lecture et analyser à posteriori toute situation à risque que vous avez pu vivre pour éviter de vous retrouver à nouveau dans le même genre de galère.

Pour une saison d’un bon pied…

Prenez soin de vous,

Thomas.